Demandez le programme !

Imaginez un chien (Salvatore), garagiste de son état (et garagiste de génie qui plus est), amateur de fondue aux fromages, amoureux d'une jeune caniche aux grands yeux (Julie),

Imaginez une vache (?) qui quitte son taureau, qui monte une exposition d'art contemporain,
qui noie son chagrin amoureux dans l'alcool,

Imaginez une truie mère de famille (Amandine), myope comme une taupe, à recherche d'un de ses 13 enfants égarés dans Paris (François),

Vous avez là quelques uns des protagonistes principaux de Salvatore, la dernière production en cours de Nicolas DE CRECY publié chez Dupuis Expresso, et dont le tome 2 vient de d'apparaître dans les rayons spécialisés. Nicolas de CRECY, nous l'avions évoqué à propos de Période glaciaire, qui nous contait l'expédition de chercheurs confrontés aux oeuvres d'art du Louvre et à partir desquelles ils tentaient de reconstituer notre mode de vie. Une histoire drôle, un peu absurde, mais très originale dans l'approche des tableaux et autres sculptures du Louvre (voir la chronique du 4 novembre 2005).

Avec Salvatore, de CRECY garde son humour décalé, un dessin crayonné aux couleurs pastel, et son amour des chiens, des cochons et des vaches. Bien sur, ce regard décalé par les animaux permet de dire des choses sur notre mode de vie, sur notre société, mais il faut à mon sens surtout goûter le plaisir du conteur, se laisser entraîner dans les méandres de l'imagination de l'auteur, le suivre dans ses vagabondages graphiques.

Et alors c'est du bonheur en pages !


Et à suivre un grand classique du manga, non, je devrais dire LE grand classique du manga, incontournable ou plutôt il serait tellement dommage de le contourner :

Akira, de Katsuhiro OTOMO, en 6 volumes N & B (c'est mieux en N & B qu'en couleurs à mon humble avis), paru en 1984 au Japon (il y a 22 ans, c'est fou).

Dans un Néo Tokyo qui a été fortement endommagé par la 3ème guerre mondiale, les aventures d'une bande d'adolescents confrontés à des enfants mutants. Les aventures de Kanéda et de son pote Tetsuo, prisonnier d'un pouvoir trop grand qu'il ne peut contrôler, face à Akira, l'enfant endormi, l'arme ultime. Un souffle épique extraordinaire, des personnages attachants, des scènes d'action incroyables, tout cela avec un dessin d'un simplicité et d'une pureté parfaite, mais qui possède une force et une énergie incroyable. La puissance graphique de OTOMO est vraiment extraordinaire. Certaines planches sont hallucinantes et collent littéralement le lecteur au plafond. L'histoire a été adapté en dessin animé mais elle est loin d'atteindre, à mon sens, la densité des albums. Vous l'aurez compris, je suis un fan de la 1ère heure et donc peu objectif, mais en l'occurrence j'accepte et assume mes choix.

Considéré comme un maître, OTOMO a arrêté la BD après Akira : il s'est lancé dans le film d'animation, notamment avec le remarqué Steamboy. Si vous appréciez Akira, ne ratez pas une autre de ses productions mangas, Dõmu - Rêves d'enfants - chez les Humanoïdes associés, également hors norme.


Pour finir, un auteur étrange, qui a su construire un univers cohérent graphiquement, avec lequel il explore les relations humaines tout en nous laissant souvent perplexe et déconcerté, en pleine interrogation (en tout cas moi, je reste comme cela...).

C'est JASON, auteur norvégien (de son vrai nom John Arne SAETEROY), qui a publié plusieurs albums en France chez Atrabile et Carabas... Citons Attends, Des morts et des vivants, Chhht !, Dis moi quelque chose...


Le style de JASON, c'est des personnages à têtes d'animaux, chiens, chats, oiseaux, grands et relativement figés, le plus souvent en ville, un dessin généralement en N & B, des albums souvent sans texte, tout en silence, et des histoires de personnages qui se croisent, qui s'aiment, qui se ratent... Plusieurs albums dégagent une impression de grande tristesse, de fatalisme, on imagine pas entendre rire dans les planches de JASON. Et pourtant tout cela ne me paraît pas pesant, enfin pas trop, il y a juste le temps qui passe et cette impression que demain sera comme hier, un enchaînement des actes et des faits contre lequel il n'est pas nécessaire d'agir. Etonnant.

Il est toujours amusant de découvrir de visu les auteurs des bandes dessinées qui nous ont interpellé. J'ai pu entr'apercevoir JASON lors de certains festivals et il porte sur lui quelque chose de ses personnages, une tête qui semble poser sur ce corps presque par hasard, un individu que l'on hésite à déranger, un peu perdu...

Je ne suis pas sur d'être en situation de bien décrire ses albums (veuille Mister JASON me pardonner) mais je ne peux que vous inciter à les découvrir. Et lisez ici quelques mots de lui...

Bonne lecture

Pierre

Ces chroniques bénéficient du soutien de la librairie spécialisée Esprit BD, 48 bis rue St Esprit à Clermont Ferrand. Merci à eux.
Les illustrations sont bien sûr la propriétés des auteurs et autres éditeurs concernés, cela va sans dire....